Stéphane Mourlane, Prix 2017


Remise du Prix à STÉPHANE MOURLANE par Dominique Budor,
pour Ciao Italia ! Un siècle d’immigration et de culture italiennes en France,
Paris, Éditions de La Martinière et Musée national de l’histoire de l’immigration, 2017
http://www.histoire-immigration.fr/agenda/2017-01/ciao-italia

Paris, Grand Salon de la Sorbonne, 8 décembre 2017

Cet ouvrage, réalisé par Stéphane Mourlane et Dominique Païni avec la collaboration d’Isabelle Renard, accompagnait l’exposition Ciao Italia ! Un siècle d’immigration et de culture italiennes en France, présentée au Musée national de l’histoire de l’immigration. Il propose de découvrir la grande diversité des regards portés sur les immigrés italiens venus s’installer en France, à travers différentes sources : cinéma, œuvres d’art, récits de vie, articles de presse ou de personnalités politiques.

Stéphane Mourlane est maître de conférences en histoire contemporaine à l’université d’Aix-Marseille. Dominique Païni est théoricien et critique, spécialiste de cinéma et commissaire d’expositions. Isabelle Renard est responsable de la collection d’art contemporain au Musée national de l’histoire de l’immigration

Éloge par Dominique Budor

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Chères amies, chers amis,

En cette année 2017 où il appartenait à Italiques de récompenser des travaux francophones portant sur l’Italie, et dans le cadre de la décision de décerner deux prix afin de rendre compte de l’ampleur plurielle de la vocation culturelle de l’Association, le jury a décidé d’attribuer un prix à cette complexe et remarquable opération culturelle nommée par ses organisateurs « ciao Italia » : soit l’exposition, qui s’est tenue à Paris au Musée de l’histoire de l’immigration de mars à septembre 2017, et le catalogue publié simultanément en co-édition avec les Éditions de la Martinière qui en a fixé la mémoire. Stéphane Mourlane (commissaire scientifique, historien, Maître de Conférences en histoire contemporaine à l’Université d’Aix-Marseille) et Dominique Païni (commissaire général, ancien directeur de la Cinémathèque et du centre Pompidou), que le jury souhaite féliciter très chaleureusement, ont uni leurs talents – la force de l’analyse socio-historique et l’efficacité de la communication muséale – pour offrir à l’intelligence du grand public une exposition dense et profonde sous des dehors accessibles puis pour développer, avec la participation de nombreux spécialistes, une précise mise au point scientifique portant sur les principaux arguments évoqués.

Si le titre, « ciao Italia », reprend la traditionnelle valeur d’accueil que comporte assurément le ciao, la récente désuétude de ce terme de salutation, sous l’effet du salve désormais utilisé par les jeunes Italiens, connote l’exposition d’une certaine nostalgie et, par là, rappelle la douleur du départ et de l’au-revoir. Toutefois le sous-titre choisi, « un siècle d’immigration et de culture italiennes en France », insiste sur le sens de disponibilité à l’Autre contenu dans le salut : l’exposition et l’ouvrage sont un hommage français à l’Italien, à celui qui arrive et dont la différence est une richesse offerte à son nouveau pays.

L’exposition a obéi à la politique générale du musée qui consiste à retracer et illustrer les phénomènes géo-politiques par les traces humaines que l’immigration installe depuis le pays d’origine dans le pays d’accueil. C’est conforme à une conception de l’histoire, de la « nouvelle histoire », comme science humaine autant que sociale, reposant donc sur l’établissement des faits historiques mais aussi sur le recueil des archives intimes, fussent-elles anonymes. Au niveau muséal, cette perspective a produit une exposition qui joue de l’émotion, non pour s’y arrêter et s’y aplatir en quelque sorte, mais bien au contraire pour installer un savoir et déclencher la réflexion sur les effets du dialogue inter-culturel. L’écoute de chansons populaires au XXe siècle, la vision de photos d’acteurs (Yves Montand et une divette, par exemple) ou de photogrammes de films, la découverte de photographies de la vie quotidienne, dans les cafés ou les épiceries ou sur les lieux de travail, les reproductions d’écrits ou de tableaux … sollicitent le visiteur : ces documents lui permettent de faire appel à sa mémoire personnelle, directe ou médiatisée, et d’articuler cette perception à d’autres mémoires pour composer enfin une mémoire collective. Ce ressort efficace du large succès de l’exposition – il s’agit ici d’évoquer non seulement le nombre impressionnant de visiteurs mais aussi la socialité, parfois bruyante mais toujours chaleureuse, des conversations qui s’engageaient entre ceux-ci – ne saurait être considéré avec mépris par la culture « alta » comme disent les Italiens, par cette culture « haute » qui est surtout une culture « séparée », séparée du monde. Aussi le jury, lui, a-t-il apprécié la conciliation de cette implication personnelle des spectateurs ou lecteurs avec la densité de l’enquête scientifique que confirme le catalogue.

Organisés en rubriques (Regards – Les lieux de la migration – Empreintes culturelles – Aujourd’hui), les articles du catalogue éclairent les jalons de l’immigration italienne en France depuis le XIXe siècle, la diversité des motivations à l’exil, les modalités historiques de l’accueil (du massacre d’Aigues-Mortes en 1893 à la présence actuelle, oubliée pendant quelques décennies puis soulignée à nouveau par la vague migratoire dans les années 70 et 80), la variété des métiers des immigrés : qu’ils aient été paysans, ouvriers, bâtisseurs, entrepreneurs – et il faut ici rappeler l’importance de Cino del Duca dans la construction de la presse de cœur –, ou encore intellectuels et artistes, notamment écrivains (Cavanna) et peintres…. Une bibliographie invite à approfondir l’information.

La généreuse portée politique de ce travail se révèle ainsi pleinement : par leur apport culturel à la France, les Italiens se sont intégrés à la culture française mais ils ont aussi favorisé, par diverses formes de métissage et d’influences, l’évolution de la France vers une conception de l’Europe et de la latinité plus ouverte. À ce titre, le jury et l’Association Italiques se réjouissent d’avoir appris que l’exposition et le catalogue allaient connaître un devenir italien : pour les Italiens, le « ciao Italia » ne comportera plus alors aucun sens d’abandon, il trouvera au contraire une valeur positive de compréhension du passé et sera l’acceptation d’une identité pacifiée permettant de résister, dans le présent, à toute forme de crispation.

C’est par cet aspect d’enrichissement réciproque des cultures et aussi de large diffusion, hors de l’entre-soi savant mais dans le respect des acquis de l’Histoire, que cette exposition-catalogue est apparue, aux yeux du jury, très proche de la vocation culturelle d’Italiques. Et aussi, plus indirectement mais sans doute de façon plus urgente, que Ciao Italia a semblé constituer un très utile point d’espoir contre le dangereux repli identitaire qui se dessine aujourd’hui dans certains pays.

Dominique Budor


A noter

Le numéro spécial de la revue Historia n°861, septembre 2018, « Ces Italiens qui ont fait la France » reprend la thématique de l’exposition et du livre que nous avons couronné. Stéphane Mourlane et Alessandro Giacone figurent parmi les contributeurs.

Les commentaires sont clos.