Les Prix Italiques 2013

En 2013, le XIVe Prix Italiques a été remis à deux ouvrages, couronnant à la fois un grand nom de la vie littéraire et médiatique italienne, et l’opera prima d’un jeune historien talentueux.

scalfari

L’essai Per l’alto mare aperto, d’Eugenio SCALFARI (Torino : Einaudi 2010, trad. française de Françoise Antoine, Par la haute mer ouverte, Paris : Gallimard 2012), évoque de manière poétique et imaginaire un parcours personnel à travers la culture littéraire française principalement, remise dans son contexte européen.

 

Dilettoso

L’étude La Parigi e la Francia di Carlo Rosselli, de Diego DILETTOSO (Biblion, 2013), est une évocation des lieux géographiques et des milieux culturels et politiques fréquentés par les frères Rosselli pendant leur exil en France.

En outre, le Jury a décidé de décerner une « mention spéciale » à la grande somme (en deux volumes) de la Storia europea della letteratura francese dont le maître d’œuvre a été Lionello SOZZI (Torino: Piccola Biblioteca Einaudi, 2013), qui a dirigé une importante équipe de chercheurs.

“La Giuria ha la possibilità di attribuire il Premio ex-aequo e anche di segnalare, eventualmente, altre due opere di particolare qualità.” (Art.7, 1998).

Discours de Corrado Augias sur l’ouvrage d’Eugenio Scalfari

Per l’alto mare aperto. La Modernità e il pensiero danzante, Einaudi, 2010.
Pour la haute mer ouverte. Notes de lecture d’un Moderne, Gallimard, 2012

 Questo libro è un viaggio nella modernità che si apre, libro e modernité, nel nome di Diderot. Scalfari lo sceglie corne Virgilio a fargli da guida annoverandolo tra i maggiori fondatori delle libertà: di coscienza, di stampa, di religione, di eguaglianza dei cittadini di fronte alla legge, con la divisione dei poteri, la fine degli assolutismi.

Compaiono molti altri personaggi nel viaggio poiché la modernité s’è fatta largo attraverso numerosi e diversi sentieri. Ma la pietra da cui tutto ebbe inizio, il Miliarum aureum, il punto zéro che segnava nel Foro di Roma l’origine delle strade consolari, quel la pietra Scalfari la trova in Francia, nel glorioso XVIII secolo, il secolo dei Lumi. Nel libro si discute e si racconta di Kant e di Marx, di Joyce e di Dostoevskij, di Freud e di Nietzsche, di Leopardi di Calvino e di Montale. Di Omero ovviamente e di Ulisse, rivisto con il verso di Dante – nel XXVI canto dell’Inferno – un inno vertiginoso alla modernité scritto otto secoli fa che arriva intatto fmo a noi – e che per la cronaca dé titolo al libro. Moite cose, molti nomi, ma il pensiero dell’autore torna di continuo a quel la cultura francese che ha avuto importanza fondamentale nella sua formazione.

Montaigne l’uomo capace di rirlettere sui più profondi dilemmi dell’esistenza e sulle più ordinarie incombenze quotidiane nel tentativo di evitare che la vita ci passi accanto inosservata.

Il suo amico fraterno Etienne de la Boétie che sviluppò il tema della libertà e del libero arbitrio. Rousseau, Voltaire, Sainte-Beuve e Proust nella loro famosa disputa, Chateaubriand il primo scrittore d’immaginazione che apre il XIX secolo. Prima di lui Beaumarchais con il suo Figaro che in nome della modernité arrivé a scontrarsi con il suo tempo. Corne impareré a sue spese anche Mozart, quando vorré metterlo in musica. Il libro parla di tante cose ma dentro c’è soprattutto la Francia, compresi i suoi paesaggi, che a noi italiani sembrano sempre più ampi di quanto gié non siano, abituati corne siamo a orizzonti spesso chiusi da colline e montagne.

C’è lo spirito dei Lumi che Scalfari ha fatto suo corne del resto ha dimostrato non solo qui ma nei giornali che ha diretto o fondato, nella sua vita di scrittore e di cittadino.

Corrado Augias

Discours de remerciement de Diego Dilettoso

Mesdames, Messieurs,

 L’association Italiques a voulu attribuer l’un de ses prestigieux prix annuels à mon livre, La Parigi e la Francia di Carlo Rosselli. Il s’agit pour moi d’un très grand honneur d’être récompensé par un jury de personnalités aussi reconnues dans leurs domaines respectifs. De même, je ne vous cache pas mon émotion quand j’ai appris que le récipiendaire de l’édition 2012 était l’historien Pierre Milza et que cette année l’un des deux prix était attribué au directeur Eugenio Scalfari.

Je souhaite partager cet honneur avec ceux qui ont contribué à ce projet. Tout d’abord, la maison d’édition Biblion, qui a fait confiance au jeune – ou, désormais, relativement jeune – doctorant que je suis, en publiant mon premier ouvrage, issu en partie d’une thèse en cours. Je souhaite, ensuite, remercier mon directeur de thèse, le professeur Eric Vial, qui en a écrit la préface : lors de ces années de travail avec lui, j’ai pu profiter de ses connaissances encyclopédiques notamment sur l’antifascisme en exil, de sa sincère bienveillance et, plus important encore, de son approche antidogmatique, dans le sillage, dirais-je, puisqu’il s’agit ici de Carlo Rosselli et de Giustizia e Libertà (GL), des enseignements d’un Gaetano Salvemini. Je tiens également à remercier mon épouse – et j’aurais dû le faire en tout premier lieu –, mes parents et mes amis pour leurs encouragements tout au long de la rédaction du livre. Enfin, je remercie deux amies, deux Italiennes de Paris, Paola Vallatta et Francesca Gulizia qui, en vérité, ont eu l’idée de cet ouvrage. En effet, cette histoire mérite un petit détour. Un jour du printemps 2010, je m’étais rendu au cimetière de Père Lachaise pour visiter le lieu où furent enterrés les frères Rosselli avant le transfert de leurs dépouilles à Florence et où leur tombe, devenue catafalque, est toujours présente, non loin de celle de Piero Gobetti. Ceci me semblait un acte obligé pour quelqu’un qui s’apprêtait à préparer une thèse sur les années parisiennes de Carlo. Lors de cette visite, je cherchais, peut-être aussi, plus ou moins consciemment, une sorte de réconfort spirituel au vu de la situation politique de mon pays, l’Italie. Il s’agissait d’une démarche personnelle, et j’ai été étonné que le hasard me fasse rencontrer sur place un petit rassemblement d’Italiens venus faire leur propre « pèlerinage républicain ». Une dame lisait tout haut des extraits d’articles de Carlo et d’une lettre de Nello. C’était Paola. J’ai interrogé l’une des participantes, Francesca, qui m’a raconté que la veille au soir, elle et Paola avaient rencontré un certain professeur Vial. Elles lui avaient proposé de participer à un projet de guide touristique de Paris sur les traces de Carlo Rosselli et il leur avait conseillé de s’adresser à un jeune Milanais, dont il s’apprêtait à diriger la thèse qui devait justement porter sur l’action politique et les réseaux intellectuels tissés par le chef de GL lors de ses années en France (entre 1929 et 1937). Alors que Francesca m’exposait ces conversations tout en ignorant qui j’étais, je l’ai interrompue en m’exclamant, « Ma il dottorando milanese sono io ! » avant que la discussion se transporte du cimetière à un café.

Au fil des mois, le projet a pris forme. Un tournant a été franchi quand, grâce à une bourse de l’École française de Rome, j’ai pu passer un mois ici, dans la capitale italienne. À cette occasion, j’ai pu éplucher quotidiennement, avec l’aide de ma future épouse, des dizaines de dossiers de la police politique fasciste conservés à l’Archivio Centrale di Stato. J’ai eu ainsi accès à une énorme quantité de documents qui retraçaient, jour par jour, la vie de Rosselli dans la capitale française. On y trouvait des informations aussi diverses que les compte-rendus du comité secret de Giustizia e Libertà, organe dont les séances étaient tellement confidentielles qu’on pouvait lire différents rapports pour chaque réunion, puisque chacun des informateurs de la police rédigeait sa propre copie, ignorant l’existence des autres… On y repérait également des renseignements éminemment privés comme, par exemple, une banale dispute conjugale entre Carlo et sa femme, extrapolée par un espion lors d’une visite au domicile du chef de GL, rue Notre-Dame-des-Champs. Ainsi, s’est précisée, petit à petit, l’idée de créer une liste des adresses rosselliennes repérées dans ces rapports de police, mais aussi dans la correspondance personnelle du chef de GL, pour en tirer quelques hypothèses sur son expérience politique et intellectuelle ou du moins sur le cadre matériel de celle-ci. On dépassait, alors, le projet de guide purement touristique pour rentrer dans celui de l’essai historique peut-être plus avouable – quoique, agrémenté par les nombreuses images d’archives de la famille Rosselli et du Paris du début du XX siècle. Il ne s’agissait pas d’aligner seulement des « lieux de mémoires » ayant une vocation plus ou moins commémorative. Par ailleurs, il convient de préciser que certains des immeubles décrits dans cet ouvrage n’existent plus. Même si le lecteur qui cédera à la tentation de parcourir l’une des promenades rosselliennes suggérées dans l’Appendice, parviendra, peut-être, à charger de sens des immeubles et des rues en apparence anonymes.

Je disais, donc, qu’à partir de la liste des adresses rosselliennes, j’ai taché de tirer quelques conclusions d’ordre historique. L’un des éléments qui m’a tout de suite frappé est la participation – certes irrégulière, mais, tout de même, répétée dans le temps – du chef de GL à des évènements de premier ordre dans la vie culturelle parisienne et française des années Trente: son niveau d’intégration lui permettait, par exemple, d’assister et d’intervenir à plusieurs reprises aux réunions de certains cénacles intellectuels tels que les Décades de Pontigny, de l’Union pour la Vérité, ou du Centre de Documentation Sociale de l’Ecole Normale Supérieure. Il est vrai que certaines de ces fréquentations demeuraient superficielles : en effet, Rosselli multipliait les contacts aussi pour sensibiliser le milieu intellectuel aux questions italiennes qui pouvaient interpeller l’opinion publique française et internationale (par exemple, la question des déportés politiques, les corporations fascistes, la guerre en Abyssinie). Il n’en demeure pas moins que Rosselli a été le seul parmi les dirigeants antifascistes italiens (hormis Angelo Tasca) à disposer d’un réseau de connaissances aussi hétérogène que prestigieux. Il suffit de mentionner les noms de certains de ses interlocuteurs : l’historien Élie Halévy, les sociologues Célestin Bouglé et Georges Gurvitch, ainsi que certains des intellectuels des revues non-conformistes des années Trente, à commencer par Emmanuel Mounier.

Je suis arrivé à la conclusion que les contacts français de Rosselli ont influencé d’une façon significative sa révision du socialisme – il s’agit, évidemment, d’un point que j’aborderai plus en profondeur dans le cadre de ma thèse. En effet, l’approche et les thèmes développés dans cet ouvrage ne reflètent pas parfaitement ceux de mon projet doctoral : il s’agit plutôt d’un premier effort dans la direction d’un travail, bien entendu, beaucoup plus vaste. Par ailleurs, je souhaite conclure avec deux mots sur la pensée politique de Carlo. Dans la préface de son essai, Socialisme libéral, on peut trouver une réflexion aux allures évidemment autobiographiques :

 Le socialisme se fait-il libéral ? Le libéralisme devient-il socialiste ? L’un et l’autre. Deux visions très élevées, mais unilatérales de l’humanité ont tendance à s’entre-pénétrer, à se compléter réciproquement : le rationalisme hellénique et le messianisme d’Israël. Le premier règne par l’amour de la liberté, le respect des autonomies, une conception de la vie harmonieuse et détachée. Le second professe une justice toute terrestre, le mythe de l’égalité et une inquiétude spirituelle opposée à toute espèce d’indulgence.[1]

Ces « deux visions très élevées » dont parle Rosselli sont aussi celles qui animent l’homme des Lumières, qui conçoit l’action politique à partir de ses propres sentiments moraux (les moral sentiments) dans le respect de la conscience d’autrui. Par conséquent, l’opposition du chef de GL au fascisme se développe d’abord (même si pas exclusivement) à partir d’une critique des mœurs (« i costumi »), ce qui est particulièrement évident dans sa dernière intervention publique, prononcée à l’occasion de la mort d’Antonio Gramsci. Le chef de Giustizia e Libertà décrit alors le caractère de Mussolini comme « extérieur, bruyant, irrationnel, improvisateur, démagogue, aventurier, » portrait très gobettien, en opposition à celui de l’intellectuel communiste, « intime, réservé, rationnel, sévère, et ennemi de la rhétorique et de toute sorte de facilité ». Lors de ce discours, deux semaines à peine avant son propre assassinat par des membres de la Cagoule pour le compte du gouvernement fasciste, Rosselli utilise une formule qui pourrait, finalement, résumer sa propre expérience politique et humaine : « l’idéal on le sert ; on ne s’en sert pas. Et, si nécessaire, l’on meurt, avec la simplicité d’un Gramsci, plutôt que continuer à vivre en perdant la raison de vivre[2] ». Voici un enseignement moral des plus élevés qui, me semble-t-il, conserve encore aujourd’hui toute son actualité en espérant bien entendu que nul ne soit plus obligé, comme Rosselli, de le suivre jusqu’au bout, jusqu’à ses conséquences ultimes et fatales… Encore une fois, je remercie le jury du prix pour avoir redonné une nouvelle actualité, ici, à la pensée et à l’exemple de Carlo Rosselli, et au pont qu’il a constitué, dans ses années parisiennes, entre la France et l’Italie, entre une partie du monde intellectuel français et une Italie alors en exil. Et je vous remercie pour votre attention

[1] Carlo Rosselli, Socialisme libéral, Paris, Valois, 1930, pp. 7-8.
[2] Carlo Rosselli, Due climi politici : due tipi d’umanità, «Giustizia e Libertà », 18 giugno 1937.

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