Didier Reinharez, in memoriam

Didier Reinharez en 2018. Photo tirée du film « Entretien avec Didier Reinharez », de Christophe Gruner.

« Un ange à vélo traversa le ciel »

Christian Feller

 

Didier Reinharez, un des fondateurs de la phlébologie française, habitant d’Uzès et membre d’Italiques, nous a quittés le 13 novembre 2018. Il avait 94 ans. Il n’était pas malade, il pédalait comme un lapin (on y reviendra), il a juste fait un malaise. C’était notre ami, celui de Paolo Carile, de Sylviane Leoni, de Laurence et Christian Feller et de nombreux autres Uzétiens.

Au côté de Claudine son épouse, dire que ses obsèques furent tristes, oui, certainement, mais en fait non, elles furent quasi joyeuses et pleines d’humour. Car, avec Didier, même mort, il était impensable de ne pas partager son humour : tous les témoignages aux obsèques furent dominés par le ton ou la touche humoristique. C’est ainsi que je veux aussi témoigner ici en souvenir de Didier.

L’une de mes facéties préférées de Didier, qu’il mentionne dans le tome 2 de ses Mémoires – Les tribulations d’un carabin sentimental –, est la suivante. Après une longue carrière universitaire consacrée à la phlébologie, voilà notre docteur-professeur enfin à la retraite ; il va pouvoir assumer sa passion, se consacrer à la peinture, ayant longuement hésité dans sa jeunesse entre médecine et art. Il peint, il peint, il peint… Le succès arrive, on lui propose d’exposer. Ce sera à La Roche-Posay, haut lieu de cure thermale dermatologique. Aussi, voici comment il rédige la carte d’invitation pour le vernissage de son exposition : Ô, Vous qui venez ici soigner vos croûtes…, venez donc admirer les miennes !

Didier Reinharez est d’une longue tradition juive ashkénaze. Vers 1926, ses parents, originaires de Ruthénie subcarpatique, émigrent à Paris ; ils habitent évidemment rue des Rosiers, jusqu’à ce que la guerre arrive avec tout un tas d’aventures touchant la famille et, bien sûr, Didier. Il doit se cacher et reporter son inscription en médecine. Sa jeunesse et son adolescence sont décrites dans le premier tome de ses Mémoires, Un oiseau traversa le ciel – un vrai traité d’ethnologie ashkénaze, d’une précision remarquable, et un vrai condensé d’humour juif.

L’un des autres traits singuliers de Didier, ce sont les voyages : comme migrant, comme chercheur, pour le plaisir de la découverte du monde à l’approche d’autres cultures.

Plusieurs d’entre nous à Uzès reçurent le 16 avril 2017 le message suivant :

Chers …,
Le printemps est là.
Comme les oiseaux migrateurs j’ai le bout des ailes qui me démange. Je vais donc, comme les canards sauvages, entreprendre un long périple.
Je voulais vous en avertir, vous dire que vous me manquerez, que je penserai à vous et que je vous enverrai des cartes postales.
Vous trouverez ci-dessous un petit texte qui vous permettra de comprendre pourquoi je pars et de suivre mon voyage sur la carte.
En attendant le plaisir de vous revoir à mon retour dans cinq ans, je vous adresse mes plus fraternelles amitiés.
Didier »

Suivait un texte intitulé Le Baroudeur immobile

Mon cher Confrère, déclara le Docteur Raspoutine d’un air lugubre tout en redressant sa longue silhouette osseuse, malgré tout le respect que je vous dois, je suis obligé de vous dire que votre système circulatoire ressemble à un vieux lavabo dont le siphon et les tuyaux sont à moitié bouchés par le tartre…

Le seul traitement… sera de faire une demi-heure par jour de vélo d’appartement pour faire fonctionner vos muscles et les irriguer sans faire porter le poids de votre corps sur vos malheureuses articulations. »

À peine arrivé chez moi, je me mis à la recherche du vieux vélo d’appartement que j’avais remisé quelques années auparavant dans un recoin de mon grenier.

C’était un vieux monstre rouillé… lourd comme un char de combat… ne possédant qu’un seul cadran qui mesurait la vitesse de pédalage et la distance parcourue… Dans l’espoir de rester frétillant et d’éviter à mon épouse… et à mes filles de s’encombrer d’un vieillard sénile, je me mis à pédaler.

S’ensuit la description du projet de voyage autour du monde, tout en restant sur place, en calculant les kms parcourus tous les jours, les pays et paysages traversés pour arriver en Chine cinq ans plus tard. Didier avait réellement équipé son vélo d’appartement pour le voyage. En voici quelques éléments : un planisphère, un peu de linge de rechange, une trousse de toilette, les douze guides du routard sur les pays traversés, un drapeau français, des méthodes Assimil.

Toutes les étapes sont programmées pour atteindre la Chine… Mais, fait extraordinaire, voici ce qu’il planifie pour novembre 2018, le mois de sa mort réelle : « Ensuite je traverserai la Roumanie en deux mois pour arriver à la frontière Moldave en novembre 2018. »

Le 12 novembre 2018, il tombe de son vélo d’appartement à Uzès, chute fatale, alors qu’il arrive aussi dans sa région d’origine, tout près de la Ruthénie subcarpatique.

Ce jour-là, comme sur les fresques de l’église de Saint-Hugues-de-Chartreuse, peintes par Arcabas, on put constater un phénomène particulier à Uzès : « un ange à vélo traversa le ciel ».

Didier s’envolait vers d’autres horizons…

Didier Reinharez, Un oiseau traversa le ciel. Mémoires, Paris, éditions de la Musaraigne, 2013, 422 p.

Didier Reinharez, Les tribulations d’un carabin sentimental. Mémoires, Paris, éditions de la Musaraigne, 2014,


« Médiathèque d’Uzès : rencontre avec un auteur des Carpates à la garrigue », Le Midi libre,  


Didier Reinharez, « Turiddu. Nuit d’épouvante au temple de Ségeste », Vingt ans en ‘Italiques’ / Vent’anni di ‘Italiques, sous la dir. de Paolo Carile et Marc Cheymol, Roma, Aracne, collection  « Publications d’Italiques », n°7, 2017, p. 219-230.)

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